"Je me suis toujours senti extrêmement fragile face aux éléments : d'un côté, un squelette avec de la chair autour; de l'autre, les forces auxquelles on se frotte, le rocher, la glace, la tempête." René Desmaison
Le tragique accident des alpinistes David Lama, Hansjorg Auer et Jess Roskelley au Howse Peak (Rocheuses Canadiennes), nous rappelle que la quête de l'exploit est morbide. Mais il y a une fascination complice pour cette montagne là. Peu d'alpinistes, à l'image de Conrad Anker, osent offrir un discours inverse empreint d'humilité et de respect (pour soi-même aussi), que la vie vaut bien mieux que nos peurs et que ce que nous cachons en nous.
"La montagne ne tue pas. Ce sont les hommes qui se tuent en montagne."
La montagne ne tue pas. Ce sont les hommes qui se tuent en montagne. Malheureusement, ceux qui y ont laissé leur vie n'ont pas eu le temps de comprendre pourquoi ils
repoussaient sans cesse les limites, dont le plus ambigu (complaisant?) prétexte est le "dépassement de soi". Une règle du jeu, où en limite d'exploration, se trouve la mort physique, sorte de
sentence sonnant le "game over" de la partie. Il faut y lire, une forme d'exutoire, d'incapacité à affronter ses peurs intérieures, ses démons et ses souffrances. Et quand cette posture devient
répétitive, c'est une fuite, devenant maladive et rendant aveugle.
Les cimetières montagnards, comme celui de Chamonix, ne sont que trop pleins de "héros", c'est bien connu, et c'est un constat bien triste. "Be a Hero" comme le dit
le slogan des fameuses cameras, "RB gives you wings" comme l'annonce celle d'une boisson énergisante. Malheureusement la jeunesse qui a besoin de reconnaissance, de prouver son talent et de
dépasser ses peurs personnelles, est la proie de ce modèle à double tranchant qui semble ouvrir les portes d'un Nirvana, cachant l'abîme d'un miroir aux alouettes.
Dans ce mauvais chemin, en forme d'impasse, la montagne est là impassible, attendant juste d'être vu pour ce qu'elle est, ressenti pour ce qu'elle offre, désirée
pour ce qu'on a à lui donner. La nature, la montagne n'est pas un théâtre pour se "donner des ailes" et montrer au monde toute la force de notre égo à faire face à l'hostilité. On joue la scène
du monde extérieur hostile en espérant en sortir vainqueur, dans le but d'une forme de rédemption, d'une délivrance, à la mesure de notre courage, alors que c'est une fuite de ce que nous n'osons
voir ni affronter en nous.
"Prendre toujours plus de risques, pour toujours rester sur le devant de la scène, est simplement le signe « pathologique » d’une obsession, d’un mal être, d’une addiction profonde, d’un grand déni intérieur et d'un manque de respect pour soi-même ."
Malheureusement ce qui est grave, c’est qu’aucuns « anciens » n’aient jamais tiré la sonnette d’alarme. Et pour cause, les ex-alpinistes (de haut niveau) sont aussi
issus de cette mouvance, de cet esprit commercial et médiatique de la montagne. Comment eux, ayant chevauché l’arête instable de la reconnaissance à travers leurs « exploits », pourraient-ils
offrir un discours inverse sans avoir au préalable réalisé une profonde remise en question personnelle et une prise de conscience sur leurs pratiques ? Car dans le fond, si on fait les choses
pour soi, c’est bien avec soi-même qu’il faut s’en satisfaire. Médiatiser ses « performances » c’est nécessairement jouer le jeu de l’égo. Prendre toujours plus de risques, pour toujours rester
sur le devant de la scène est simplement le signe « pathologique » d’une obsession, d’un mal être, d’une addiction profonde, d’un grand déni intérieur et d'un manque de respect pour
soi-même.
Bien entendu, la foule aime les gladiateurs du nouveau siècle, ces gladiateurs de l’inutile qui font frissonner les aficionados devant leurs écrans d’ordinateurs et
leur smartphones, les applaudimètres en tête. La montagne est un décor, la cotation, l’altitude, la face, le timing sont les saint-graals de ces nouvelles mises en scènes. On « like » et surtout
on part s’acheter plein de matériel flambant neuf dont on ne sait se servir et qui finira au placard de l’oubli. Il faut donc voir que la montagne, l’alpinisme sont à l’image de la société,
déconnectés des réalités de la vie et dans un processus impulsif de satisfactions égotiques. Car il y a le temple et tous ces marchands qui se frottent les mains, et ils sont nombreux : médias
tv, magazines spécialisés, fabricants de matériels, maisons d’éditions, tours opérateurs, stations touristiques, magasins de sports, sponsors...
J’ai découvert l’escalade et l’alpinisme seul à 15 ans. Je bricolais à mes débuts mes harnais avec des ceintures de Judo, m’achetais en cachette avec mon argent de
poche quelques mousquetons et des bouts de cordes, puis j’escaladais en guise d'entrainement en libre comme en artificielle le plus grand chêne de 30 mètres du jardin familial. La symbolique est
puissante et nécessaire pour grandir vers l’âge adulte. La passion fait le reste, mais la passion est toujours accompagnée de ce qui nous anime, de ce qui nous pousse à exister en nous, une forme
d'amour, qui peut-être celui des grands espaces et de la nature. La passion est aussi le miroir de ce que nous avons besoin de transcender en nous, de ce quelque chose que nous rejetons car il ne
nous ressemble pas, et qui est en fait une quête de soi-même.
"Bref, si on résume, la montagne comme l’exploit se devaient d'êtres droits et fiers comme des « phallus »."
Au cours de ma carrière de grimpeur et d’alpiniste (années 90), où certaines de mes réalisations ont été remarquées, la partie mise en lumière médiatique a été la
chose la plus difficile à vivre personnellement. Au-delà des jalousies dans ce petit milieu, c’était surtout d’offrir au regard extérieur si je pouvais « fournir la demande » d’exploits et de
nouveautés. Si cela peut-être gratifiant de partager ses expériences et ses aventures et d’en avoir les tribunes pour, j’ai vite déchanté lorsque j’ai compris que cet univers ne cherchait que le
« nième fait » pour se vendre. Dans le fond, j’étais comme d’autres camarades de jeu, des « hommes sandwich » et dont il fallait être les bons élèves, surtout pas rebelles car un bon produit est
bien « marketing », c’est à dire stable dans son image. J’ai compris que l’esprit, le style n’avait aucune importance, et que plus c’était « viril » et « creux » mieux cela passait. Le cocktail :
adrenaline (pas mal), testostérone (beaucoup), cotation (au top), sensationnel (au max). Bref, si on résume, la montagne comme l’exploit se devaient d'êtres droits et fiers comme des « phallus
».
Le discours de Patrick Berhault prônant dans sa jeunesse une escalade sans cotations et sans compétitions, était hors des clous et accepté dans le milieu juste comme
une de ses fantaisies de maître à penser, mi dieu mi artiste. Patrick le pensait vraiment, malheureusement la fin de sa carrière accidentelle était devenue à l’opposé de ce discours, alpiniste
boulimique, dans l’errance d’une dureté envers lui-même qui lui fit perdre le sens des réalités et commettre la faute d’un débutant. Même lui, mon maître de sens en escalade, danseur chorégraphe
au-delà de la verticale, s’était au final prit au jeu médiatique et était tombé dans le piège de l’égo surdoué. Il en avait oublié son talon d’Achille, ses blessures originelles, objet de sa
fuite en avant.
Car j’en ai croisé, de mes 22 ans à mes 33 ans de passion dévorante pour l’escalade et la montagne, de ces hommes attirés par les lumières de l’exploit et de la
gloire. Aucuns « fameux alpinistes » sous les feux de la rampe des années 80, 90 et 2000 n’a survécu, où si peu. Le meilleur exemple est surement Christophe profit qui a su bifurquer à temps. Les
autres, dont je ne citerai pas les noms tellement ils sont (trop) nombreux, sont allés trop loin dans leur aveuglement, une forme d’inconscience (de ce qui est dans l'inconscient), autant
d'impasses qui peuvent aussi ressembler à du suicide. On appelle cela en psychologie, un comportement "ordalique". J’ai malheureusement perdu de nombreux amis, dont certains proches de cœur,
Jérôme Thinières et Hugues Beauzile, eux aussi parti trop tôt dans leur jeunesse et leur fougue. Mais on peut aussi décliner ce modèle à tous ceux qui ce sont identifiés à ces formes de
pratiques, et qui sans être des « champions » ont aussi fait les frais de ce modèle d’existence et de valorisation personnelle. Je vous renvoie à mon étude sur les « comportements à risques », les mécaniques comportementales et psychologiques y sont clairement expliquées.
"La montagne est une relation intime, profonde, mais qui a aussi ses grands dangers."
Il serait temps, que le message s'inverse, que ces "pousse aux crimes" collectifs et inconscients s'évaporent, et que l’on arrête de vénérer de telles visions
archaïques de la montagne, celles aux "exploits" des sur-hommes.
Car, on peut vivre la montagne différemment, mais cela signifie aussi que l'on peut se voit en transparence comme l'eau du torrent. Agir par compensation fini toujours mal. La montagne n'est pas là pour recevoir nos « mal de vivre », elle n'est pas un défouloir émotionnel, c'est la charger d'énergies négatives et lui coller des égrégores malsains, comme les requins et les loups "tueurs d'hommes". La montagne est un chemin, un chemin dans le ressenti, dans l'intuition, c'est un chemin du coeur. La montagne est une relation intime, profonde, mais qui a aussi ses grands dangers. On ne peut s'élever sans au préalable se débarrasser de nos impuretés personnelles. La montagne, sommet ou pas, est à ce prix de devoir d'abord se libérer de ses mémoires, pour y faire entrer toute la lumière que l'on trouvera là haut.
J'invite tous les coureurs d'exploits, de fuite en avant, à découvrir ce que sont les mémoires transgénérationnelles et karmiques (blessures originelles), nos
modèles de fonctionnements, nos schémas empruntés répétitifs, les conséquences de nos mémoires inconscientes sur la génétique et l'épigénétique. Et à ce titre, le livre de Emmanuel Ratouis, guide
de haute montagne, "Cent histoires pour mieux comprendre l'inconscient familial qui nous gouverne" est une très bonne approche, explicite et facile à comprendre.
A l’instar des ces apprentis (du cœur) montagnards, Guillaume Néry, champion du monde d’apnée, ayant su stopper, avant qu’il ne soit trop tard, cette quête du «
toujours plus de l’égo», du « toujours plus fort des applaudissements», pour évoluer en revenant à ses ressentis intérieur en liens avec à sa relation avec l’océan. Aujourd’hui, il explore avec
sa femme Julie Gautier la beauté de ces profondeurs inconnues, qu’ils nous font partager avec grâce et sensibilité, avec comme objectif aussi de sensibiliser le monde sur la nécessité de protéger
avant tout notre planète et sa biodiversité.
Comprendre que ce qui nous tue, un jour ou l'autre, c'est juste nous même (en montagne comme ailleurs!). Le culte de l'exploit, du toujours plus, c'est le
culte de l'égo et du déni de soi-même. C'est passer à coté du pouvoir guérisseur des merveilleux esprits de la montagne et surtout, de notre véritable destinée et de l'amour
inconditionnel.
- Jérôme Rochelle -
Copyright ©️ Jérôme Rochelle / Reproduction interdite sans accord de l'auteur
- À propos de Jérôme Rochelle -
Amoureux de la nature, ancien grimpeur et alpiniste de haut-niveau, passionné de vol en wingsuit, Ingénieur en physique thermodynamique puis formé à la Médecine Traditionnelle Chinoise, à la Bioénergie et à la Psycho-énergétique, spécialiste en mémoire trans-générationnelles et karmiques.
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